jeudi 25 février 2010

impromptu

Ce matin, à l'issue de mon cours de onze heures, l'un de mes élèves de CAP a souhaité s'entretenir avec moi. Oh, ça n'avait rien de formel, moi adossé au tableau et lui en face de moi, à portée de bras, rien de menaçant disons. C'est assez rare ce genre de moment, lorsque le besoin de mots n'est pas suscité par une crise à désamorcer ou une pendule à remettre à l'heure. Non, là c'était simplement un jeune d'une quinzaine d'années qui avait envie de me parler, de me dire à sa manière combien il était content de la façon dont ses études se déroulaient, du changement total par rapport à ces années de quatrième et de collège qui, à l'en croire, ont vraiment été cahotiques et malheureuses. Le collège peut-être une expérience assez traumatique pour certains, et par endroits. Lui, rentre dans cette catégorie aux contours flous et changeants qui me tient à coeur parce qu'elle justifie en elle-même mon envie d'enseigner. Il fait en effet partie de ces jeunes qui trouvent en lycée professionnel – a fortiori en CAP qui est encore, pour le plus grand nombre, adultes comme jeunes, parents comme enseignants, encore considéré comme une voie de relégation, une orientation par défaut : un échec annoncé – la possibilité d'une île où tout recommencer. C'est un Robinson de l'enseignement qui, à partir de quelques éléments repêchés ça et là, glanés avec obstination par le travail au milieu de camarades infantiles et irresponsables – et qui n'ont pas encore perçu l'importance des enjeux et ne vivent que dans un instant présent frustrant car pas toujours ludique et jouissif – ou subissant leur situation empêtrés dans leur malaise adolescent, réussit à se prouver qu'il peut sinon reconstruire, du moins bâtir quelque chose en quoi croire. Ce naufragé involontaire se forge alors, sans s'en rendre compte, des perspectives d'avenir et voir s'allumer dans leurs yeux lorsqu'ils admettent l'idée qu'ils peuvent s'imaginer un futur qui ne soit pas fictionnel est toujours un moment rare et précieux. Je ne berce pas d'illusions – ou plus, si tant est que j'en ai jamais eu – car je sais combien de chausse-trappes l'attendent, ainsi que ces quelques autres camarades qui sont autant de naufragés que lui. Mais de savoir qu'il en est au moins un qui ait jugé important, pour ne pas dire nécessaire de l'exprimer de cette façon quand rien ne l'y obligeait, et bien ça me rassénère. Je vais bien dormir cette nuit.

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