"Mais à la réflexion, c’est un malheur extrême que d’être assujetti à un maître dont on ne peut jamais être assuré de la bonté, et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il le voudra."
Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1576
Si j'ai choisi de mettre cette citation en exergue c'est parce que sous des dehors assumés de comédie, LE JOUET de Francis Veber est une fable sociale, politique et philosophique.
C'est la première réalisation de Veber et donc la première apparition de François Perrin, son alter-égo à l'écran. On connaît l'histoire, je n'y reviens pas. Mais il m'est davantage apparu qu'il y avait réellement plusieurs degrés de lecture dans ce récit quand, enfant et adolescent, je n'en avais retenu que les aspects comiques ("C'est vrai qu'il a les mains moites" demeurant une de mes répliques favorites).
Primo, le film est une comédie qui joue avec maestria de la mise en abime, des emboîtements de situations et des coups de théâtre, à commencer par celui qui fait du héros, alors qu'il vient de trouver un emploi, endosse la défroque du "ça", du jouet chosifié, pour complaire à un enfant gâté, afin de ne pas perdre son emploi. Bien sûr les choses ne sont pas aussi simples et l'enfant, loin d'être un sociopathe, cherche surtout à provoquer son père, lequel n'a aucune fibre sentimentale et se plie au jeu tant qu'il n'en devient pas la cible. Et c'est là où la comédie fonctionne le mieux, c'est-à-dire quand le jouet cesse d'être passif et commence à devenir, d'abord manipulateur, puis pédagogue, et enfin ami de son "maître". La séquence de la garden-party au son des mariachis avec, à la grille, les syndicalistes et les policiers et Richard rendant hommage à Sellers dans THE PARTY est une des meilleurs du film.
Secundo, donc, le film est une satire sociale, à la fois du monde du travail dans lequel chacun est prêt à toutes les compromissions pour garder son emploi (se raser la barbe), tout en risquant de le perdre du jour au lendemain sans plus de raison (les mains moites comme métaphore de l'arbitraire patronal). Ce qui est étonnant, a posteriori, c'est de se dire que l'on était pourtant en 1976, et qu'on pourrait penser que la crise et le chômage n'étaient pas encore des préoccupations si prégnantes. Or c'est tout le contraire, Perrin explique qu'il était au chômage depuis 17 mois et la situation de la presse était déjà périlleuse. On imagine le personnage, aujourd'hui, simple pigiste...
Tertio, qui complète le précédent, la peinture de la haute bourgeoisie, qui vit dans un monde découplé de la réalité populaire, dans laquelle un patron peut avoir une femme-trophée et payer un employé pour être le jouet d'un enfant dont il ne sait qu'acheter l'amour est là aussi assez gonflée. L'importance, dans la chambre d'Eric, des symboles de la culture comics books étatsunienne (les héros de Marvel grandeur nature), mais aussi le distributeur de Coca Cola là où travaille la femme de Perrin (où le pool de secrétaires rappelle assez celui de THE APPARTMENT de Wilder, et ce n'est pas une coïncidence, j'en suis sûr) sont des indices d'une époque de croissance, de consommation futile. Et où tout s'achète, comme dans la scène de la maison de Ceccaldi.
Quarto, il y a cette relation qui s'échafaude entre François et Eric, entre cet homme sans enfants, et cet enfant loin de sa mère et qui méprise son père car celui-ci méprise tout le monde, un transfert s'opère peu à peu, avec le "journal" comme passerelle. Il y a peut-être une chance qu'Eric ne devienne pas comme son père, mais ce n'est pas sûr. La fin, du coup, n'est pas une happy end, mais un arrêt sur image.
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