mardi 15 mars 2011

le silence de la mer

"Je vous souhaite une bonne nuit."

En 1949, Jean-Pierre Melville réalise son premier film quasi clandestinement, hors des circuits traditionnels du cinéma français, sans avoir les droits du livre qu'il adapte et après s'être engagé à en brûler le négatif si le résultat final déplaisait à son auteur.
Ce film, ce livre, c'est Le silence de la mer, chef-d'oeuvre rédigé et édité durant l'occupation nazie par Jean Bruller alias Vercors. Melville en lut une traduction anglaise en 1943 alors qu'il était en Angleterre et se promit d'en faire son premier film.
Voir (ou revoir) LE SILENCE DE LA MER est donc une expérience initiatique et littéraire qui si elle n'est pas autobiographique, comporte cependant bien des éléments que l'on retrouvera ensuite dans la filmographie de Melville, en particulier dans L'ARMÉE DES OMBRES.
Mais ce qui m'a surtout frappé en le découvrant, c'est combien cette première réalisation est incroyablement maîtrisée. Et ce alors que, bien avant Orson Welles et son OTHELLO ou Kubrick et son EYES WIDE SHUT, Melville dut étaler ses vingt sept jours de tournage sur une année en raison de ses vicissitudes financières.
Rien de tout cela n'apparaît pourtant à la vision du film qui se déroule avec l'évidence d'une pelote de laine, quasiment de façon documentaire.
Mais ce n'est pourtant pas ce vérisme assumé qui donne au film sa tonalité bouleversante mais bien la diversité des influences que j'y ai reconnues, sans être sûr par ailleurs que je n'y plaquais pas non plus les miennes.
Il n'empêche que l'on ne me l'enlèvera pas de l'esprit que Melville s'est beaucoup inspiré, justement, des cinéastes allemands comme Murnau (l'arrivée de vont Ebrennac !), de Lang (dans l'utilisation de l'espace de la pièce, ou dans celle des miroirs) ; mais aussi de Dreyer (tous les gros plans sur la tête et le visage de la nièce), de Bergman (la scène dans la forêt avec la fiancée) et de Ozu (pour les scènes contemplatives et de silence). Et je dois forcément en oublier, et peu importe d'ailleurs tant je suis époustouflé par cette prouesse qui consiste à rendre aussi vivant, intéressant, captivant, séduisant, un film quasi-muet, dans lequel il ne se passe presque rien, mais qui vibre d'une intensité souvent insoutenable.
C'est je crois bien, et je l'affirme alors que je n'ai pas lu le livre*, l'une des meilleures adaptations d'un livre au cinéma. L'utilisation de la voix-off pour faire vivre ce narrateur (l'oncle), alors qu'il ne doit prononcer que quelques mots à peine dans le film, est particulièrement bien réussie.
La peinture de l'occupation et de la banalité de la barbarie nazie vue à travers les seuls yeux de Von Ebrennac (hormis la courte scène à la Kommandantur) donnent beaucoup plus de force au récit en laissant entrevoir ce que furent sûrement les affres de beaucoup d'Allemands francophiles, lettrés et artistes.
Les comédiens sont fascinants : Howard Vernon, comédien suisse cantonné aux rôles d'Allemands, rejoua ensuite pour deux films de Melville mais aussi dans ALPHAVILLE et dans DIE 1000 AUGEN DES DR. MABUSE de Fritz Lang. Sa voix monocorde devient peu à peu envoûtante.
Jean-Marie Robain (l'oncle) avait en fait seulement 36 ans au moment du tournage ! Il sera ensuite un habitué des films de Melville.
Nicole Stéphane, enfin, eut une brève carrière d'actrice. Elle travailla ensuite comme monteuse et productrice.

* ni vu le remake réalisé en 2007 par Pierre Boutron pour la télévision.

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