Allons directement à l'essentiel : à l'instar du personnage de Roman dans THE NEGOTIATOR, je suis persuadé que Shane ne meurt pas à la fin de SHANE de George Stevens. Et ce pour une raison qui a dû sauter aux yeux de plus d'un cinéphile avant moi : il n'y a pas de "The End" pour clore le film.
"You're speaking to me ?
– I don't see anybod
y else standing there..."*
Cela dit, qu'en est-il du film et en quoi est-ce un classique essentiel du cinéma et du western en particulier ?
Et d'un, c'est le maillon qui permet de relier entre eux Sam Peckinpah,
Michael Cimino et Martin Scorcese car il évoque, avant eux, la problématique des grands ranchers voulant écarter les immigrants (HEAVEN'S GATE) ; il anticipe la disparition d'un mode de vie (l'open range) et de mort (les gunfighters) et fait entrer de plain pied le western dans une modernité qu'elle n'assumera que dans les années 70 (PAT GARRETT AND BILLY THE KID) ; il assène, dès le début, lors d'un échange fameux* entre Alan Ladd (Shane) et Ben Johnson (Chris Calloway), les racines du plus célèbre monologue du cinéma (TAXI DRIVER).
Et de deux, c'est une pièce d'histoire américaine qui enterre la guerre de Sécession avec le personnage de Torrey (joué par Elisha Cook Jr.) par qui tout commence et par Shane (quand il traite Wilson de "Yankee liar") pour finir. Alors que l'ascendance sudiste de Stonewall est, au début, sujet de moquerie (Dixieland joué à l'harmonica comme leitmotiv), elle devient ensuite un symbole de l'unité des Homesteaders, ces fermiers qui travaillent dur sur leur lopin de 160 acress (64,74 hectares) qu'ils peuvent exploiter en vertu du Homestead Act de 1862. Aux yeux des ranchers comme le vieux Ryker, ces éleveurs de cochons sont tous identiques, qu'ils soient du Nord ou du Sud, et leur union est d'autant plus magnifiée lors de la séquence du 4 juillet qu'ils commémorent religieusement.
Et de trois, c'est un film de comédiens formidables dans leur justesse et leur économie : Alan Ladd, impeccable dans les films noirs (THIS GUN FOR HIRE, THE BLUE DAHLIA), se révèle un cow-boy très convaincant et il incarne ici un stéréotype sur lequel tous ses successeurs devront se caler ou s'éloigner. Jean Arthur, pour son dernier rôle, joue une femme de caractère, attachée à sa famille et à sa terre, mais aussi, on le sent, bouleversée par Shane, sa rudesse et son passé. Elle qui s'était fait une carrière dans les comédies de Capra trouve là un de ses plus beaux rôles. Van Heflin, l'éternel second rôle qui avait obtenu pour cela, en 1942, un oscar pour JOHNNY EAGER de Melvin LeRoy, incarne dans le film un personnage essentiel d'Américain moyen (ici un Homesteader) en butte au système (ici celui des ranchers de l'open range) et qui est prêt à se battre quoi qu'il lui en coûte.
Je n'oublie cependant pas, parmi les seconds couteaux, Ben Johnson, parce qu'on le retrouvera ensuite chez Peckinpah, comme un rappel entêtant d'une autre époque du western. Ni non plus Jack Palance dont la froideur mécanique annonce à la fois toutes les créatures passées et à venir qui ne sont
là que pour tuer, les hommes et leurs rêves. Je suis plus sceptique au sujet du gamin (Brandon deWilde) car malheureusement, et c'est peut-être le seul défaut du film), il ouvre (avec le chien, n'oublions pas le chien) la voie à toute une floppée de personnages d'enfants horripilants dont Hollywood usera ensuite sans vergogne.
Et de quatre, et pour arrêter là, c'est le film d'un vieux cinéaste qui n'a pas encore tout donné (il réalisera encore quatre films dont GIANT et THE DIARY OF ANNE FRANK) mais qui sent bien qu'un monde est en train de disparaître. La séquence où Shane se bat, d'abord contre
Calloway, puis contre toute la bande de Ryker aidé de Starrett est fantastique, tout comme l'est la scène où Shane et Starrett en viennent aux poings car Shane veut l'empêcher d'aller se faire tuer par fierté. Ce genre de scènes, bien plus que la fusillade finale, donnent tout son relief au film, et son humanité aussi.
nb : ça m'est revenu mais pour moi la scène où Shane arrive chez les Starrett, avec ce plan de Van Heflin de dos avec sa hâche, a été reprise, en hommage je pense, par Tarantino au début de INGLORIOUS BASTERDS...
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