"Colbert, comme tous les hommes de son temps, vivait dans les cadres bibliques, avec une perspective temporelle de quatre mille ans, mais il envisageait l'avenir du royaume sur des siècles, en faisant par exemple planter des arbres pour construire les flottes futures. En revanche, nos maîtres, qui semblent ignorer totalement les quinze milliards d'années de cosmologie contemporaine, pensent leur action sur quelques années ou quelques mois, en fonction des élections prochaines. Aussi, pour maîtriser ce futur effrayant qui nous échappe, nous mettons en oeuvre tout notre savoir pour l'asservir, pour faire qu'il ne puisse être autre chose que la continuation simplifiée du présent.
C'est le rôle du crédit, ressort fondamental de l'économie moderne. Nous vivons à crédit : c'est un truisme à première vue, mais on ne mesure pas toujours ce que cela signifie. Cela veut dire que tout le savoir humain est mobilisé pour la colonisation du futur. En liant le présent à des événements virtuels, on le bloque sur ce qu'il est, on l'empêche d'être autrement. Une société d'endettés est prisonnière du futur, elle ne peut plus prendre de risques, se battre pour ses droits, ou envisager de vivre autrement. [...] Nous ne pensons au futur que sous l'angle de la capture et de l'appropriation. Quand nous pensons le futur, ce n'est pas dans une perspective du long terme qui privilégierait l'intérêt supérieur de l'humanité, c'est pour asservir le présent, pour mieux le contrôler. Mais il s'agit en fait d'une entreprise de capture. En asservissant virtuellement le futur, nous nous asservissions nous-mêmes."
Bertrand Méheust, La politique de l'oxymore, p86-87
in Le Monde diplomatique, septembre 2009
in Le Monde diplomatique, septembre 2009
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